Didier Richard, le marathonien du tir

Ses matchs durent presque trois heures… Car Didier Richard, para-tireur de Saint Quentin, en Picardie, est un spécialiste de la carabine à 50m trois positions. Fanatique de sport, il aime l’adrénaline mais aussi le temps long, quand ça se joue à si peu. Et surtout au mental.

Les chiffres donnent le tournis… Il est trente-six fois champion de France, champion d’Europe, a remporté près de vingt médailles internationales et participé à trois Jeux Paralympiques ! A 56 ans, Didier Richard, venu pourtant au tir sportif sur le tard, fait preuve d’une exceptionnelle longévité. Une expérience et un recul qui lui permettront dans quelques semaines à Tokyo d’être en terrain connu. Mais paradoxalement, il prend le contrepied des idées reçues.

©F.Pervillé

« Un jeune qui découvrira les Jeux ne prendra peut-être pas conscience de la dimension de l’événement alors que moi oui, car je connais. Et je serai peut-être plus stressé que lui ! »

Didier Richard tire à la carabine dans toutes les positions, à toutes distances : 50m trois positions mais aussi 10m debout et couché. Il n’est pas encore certain de se présenter à toutes les disciplines, aux prochains Jeux Paralympiques, mais plus il en fait, plus il aime. Car il est dingue de sport. Jeune, il jouait au foot, au tennis, au hand. Mais c’était avant. A 19 ans, il est victime d’un accident de moto. Une nuit, une voiture ne l’a pas vu puisqu’il n’y a même pas eu de traces de freinage sur la route. Les médecins devaient en priorité l’opérer en urgence de l’aorte. Ne pouvant réaliser deux opérations en même temps, ils ont dû « sacrifier » celle que nécessitait ses jambes. Aujourd’hui, Didier Richard souffre d’une semi-paralysie des deux jambes, la gauche étant amputée du tibia. Après quelques mois très difficiles pour assimiler sa nouvelle vie et son handicap, il rebondit. Il s’essaie au handi-basket. A la natation. Mais Saint-Quentin, dans l’Aisne, où il vit, est aussi une ville de tir. Et là, c’est le coup de foudre. A 32 ans.

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« J’ai découvert un sport qui me calmait, moi qui étais un explosif. Parfaitement complémentaire avec le handi-basket. »

Didier marche, mais avec des béquilles. Peu de gestes de la vie quotidienne lui sont interdits. Trois jours par mois minimum, , il tire à l’INSEP (Institut National de Sport et de l’Education Physique). Le reste du temps, il s’entraine dans son stand de Saint-Quentin ou il est licencié. Parfois, il pousse jusqu’à Onnaing, près de Valenciennes, où il retrouve son ami et partenaire d’entrainement Christophe Tanche, qualifié pour les Jeux lui aussi.

Avant l’entrainement, concentré, économe de ses pas, il rassemble autour de son fauteuil, dans lequel il s’installera, tout le matériel nécessaire pour les trois sessions du « 50m trois positions ». De l’une à l’autre, il fera les modifications techniques en étant assis. Pour éviter de se relever, faire monter son rythme cardiaque et contrarier la suite du tir.

Le 50m trois positions s’appelle aussi le 3×40. Car il faut tirer 40 balles dans chacune des positions, le tout en 2h45. Aucune autre contrainte de temps, chaque athlète gère son match comme il le veut.

La première partie, c’est le « 50m genou ». Gaucher, Didier Richard pose le coude droit sur un support rond d’une dizaine de centimètres de circonférence. La sangle entoure l’épaule droite et son avant-bras soutient la carabine.

« Il y a une forme de déséquilibre. Ce n’est pas ma session préférée. Au « genou », il faut énormément de temps pour trouver sa position. »

Il faut tirer les 40 balles sur une longue distance et donc appréhender les conditions climatiques et surtout le vent qui joue sur la trajectoire, notamment dans les dix premiers mètres. Des petits drapeaux témoins, placés en deux endroits sur la longueur, indiquent la force et la direction du vent aux tireurs.

Deuxième session : le « 50m couché ». Cette fois, les deux coudes sont posés sur une tablette. Que Didier visse lui-même et qui remplace la précédente puisque sur celle-ci, pas de petit support rond. Là encore, il faut tirer 40 balles.

En compétition internationale, la différence ne se fait pas sur le « genou » ou le « coucher », à moins d’une défaillance individuelle. Mais après. Les athlètes sont suffisamment fatigués pour que tout se joue, au mental, lors de la troisième session la plus difficile, la plus « sélective », le « 50m debout ». Les coudes ne reposent plus sur rien. Les bras sont ballants, portent la carabine et c’est parti pour une dernière salve de quarante balles. Le temps a passé, il faut veiller à rentrer dans la durée impartie. Et le vent a pu changer, se lever ou se coucher … Evidemment, c’est celle que préfère Didier. Quand la tension physique et mentale, déjà bien émoussées, sont au maximum.

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« Comme cette position est plus naturelle, je respire mieux et donc me sens mieux. C’est ma session préférée et je m’arrange pour me donner du temps, sans pour autant bâcler les deux premières. »

Il « bouffe du volume » !

Paradoxalement, il manque à Didier Richard une qualité essentielle pour un tireur…

« Dans ce sport il faut être calme, et je ne le suis pas ! »

Surtout les jours qui précèdent une compétition.

« Il est impatient. Il ne tient pas en place. Il doit à tout prix tondre sa pelouse et nettoyer la piscine. Il faut que son jardin soit propre avant de partir. Il est moins réceptif », explique Virginie.

Didier Richard a compensé cette grosse énergie par d’autres qualités.

« Il a énormément progressé par rapport à ses débuts mais sa vraie personnalité est celle d’un expansif, qui blague et chambre », constate Eric Antonicelli, président du comité départemental handisport de l’Aisne, qui le connaît depuis vingt ans.

« Sa force, c’est la coordination, notamment entre le visé et le lâcher. Une coordination qui se joue en quelques dixièmes de secondes. Dans ce domaine, il est le plus fort de l’équipe de France de para-tir ! », confirme son entraineur Eric Viller.

Surtout s’il a pu « faire le vide », avant.

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« Il déconne » tout le temps et même juste dans les instants qui précèdent la compétition. Car il a besoin de faire sauter la soupape juste avant de rentrer en concentration. Et il rit fort. Et surtout, c’est un râleur ! S’il ne râle pas c’est qu’il est malade. Mais c’est toujours constructif… » sourit Christophe Tanche.

Eric Viller avoue être souvent bluffé par Didier. Mais il n’hésite pas, aussi, à se montrer sévère. Même s’ils ont le même âge, il est cash avec son élève.

« C’est une grande gueule. Il peut vite s’emporter. Parfois, il ne prend pas le temps d’analyser ses tirs. Il est impulsif. Mais il écoute. »

Didier n’est pas le plus doué de l’équipe de para-tir. Loin de là. En revanche, c’est un acharné du travail.

« Il bouffe du volume, ce qui signifie qu’il s’entraine énormément et a obtenu ses succès grâce à son travail », poursuit Eric Viller.

Et s’entrainer, même beaucoup, même longtemps n’est pas un problème. Car Didier Richard est passionné.

« Le tir sportif c’est sa deuxième vie. Il continue de performer et ne s’arrêtera pas. En tous cas, pas avant Paris 2024 ! Il se prépare pour une échéance avec tous les ingrédients nécessaires. L’une de ses forces, c’est qu’il doute très rarement », confirme sa compagne Virginie.

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Une sacrée personnalité qu’il a aussi mise au service de l’enseignement. Il est très fier d’avoir transmis son savoir, notamment à Vincent Fagnon, également para-tireur à Saint-Quentin et qui vient d’obtenir son quota olympique. Didier Richard a donc le goût des autres, du travail mais aussi celui de la précision. Le tir aurait, justement, des points communs avec son autre passion, le bricolage.

« Je dois bien avouer que je suis très doué pour le travail manuel. Et au tir, d’une certaine manière, il y en a ! Je manipule des petites pièces de la carabine, comme les organes de visée, ainsi que les balles. Mais aussi, entre les sessions, je visse, je dévisse, je change de tablette, de plaque de couche… »

A la maison, on parle parfois bricolage mais surtout tir. Car Virginie est également tireuse. Mais avec des armes anciennes. Elle a même fait partie de l’Equipe de France et effectué quatre sorties internationales. Et comme tout le monde, elle appelle son compagnon « Dd ».  « Didier », c’est pour ceux qui le rencontrent pour la première fois. Mais dès la deuxième, ce sera « Dd ». Affable, ouvert, le contact facile, il accueille le visiteur avec le tutoiement facile, rarement avare d’un bon mot. Un Ch’ti, natif d’Hénin Beaumont, sympathique et avenant, à l’accent du nord bien prononcé !

« Je parle le patois Ch’ti. Je suis supporter de Lens et suis souvent allé au stade Bollaert ! »

Mais le « boyau rouge », comme on surnomme ceux du bassin minier lensois, a son jardin secret. Il est amateur de westerns. Et pas parce que les cow-boys tirent. Surtout pour la beauté et la grandeur des paysages de l’Ouest américain.

« On a les mêmes gouts, en l’occurrence. Et on aimerait bien, ensemble, se faire la mythique route 66 qui traverse huit états américains et trois fuseaux horaires entre Chicago et Los Angeles », rêve Christophe Tanche.

Souvent, en compétition, dans la chambre d’hôtel qu’ils partagent, Christophe et Didier regardent un bon western en buvant un thé. Et ils s’imaginent… Et quand Didier ne regarde pas un film de cow-boys, il

s’intéresse à l’évolution du matériel, lis les catalogues, scrute les vidéos des autres tireurs pour être à l’affût de toutes les nouveautés.

Attention à « Papi » !

Didier Richard a trois maîtres. Et surtout un, dans son sport : le Suédois Jonas Jacobsson, qui a glané 17 médailles d’or aux Jeux Paralympiques. Mais aussi Bernard Hinault et Michel Platini, qui l’ont fait vibrer lorsqu’il était plus jeune.

« Je ne me retrouve pas dans l’actuelle génération, compte tenu de l’importance prise par l’argent dans le sport. Je n’ai pas l’impression qu’ils se battent pour la beauté du jeu… Mais il y a néanmoins des sportifs actuels que j’adore. Le décathlonien français Kevin Mayer, Roger Federer ou Antoine Griezmann. »

Il a débuté le tir à l’âge de la fin pour la grande majorité des sportifs de haut niveau. Il a aujourd’hui 56 ans.

« Quand j’ai commencé, je me suis rendu compte que je n’avais jamais appris à me concentrer », s’étonne-t-il.

©FFTir

Il a appris, et bien appris puisque le champion d’Europe en titre va de nouveau disputer des Jeux Paralympiques. Il espère d’ailleurs, secrètement, que le Japon sera une aussi belle surprise que la Chine. Aux Jeux Paralympiques de Pékin de 2008, il s’était régalé, impressionné par la gentillesse des Chinois et la qualité des infrastructures. A Tokyo, si la situation sanitaire l’avait permis, il aurait volontiers visité la gigantesque ville après la compétition, comme il le fait régulièrement.

« Pour moi, cela fait partie du sport de connaître le pays où à lieu cette compétition. »

Là-bas, il passera tout son temps avec l’adversaire qu’il craint le plus puisqu’il s’agit de … lui-même. « Après deux ans sans compétition, pour cause de crise sanitaire, je ne sais pas comment je vais réagir. C’est justement là que mon expérience doit me servir. Normalement, cela devrait bien se passer. »

Parmi ses meilleurs souvenirs, il y a justement les Jeux, les précédents, à Rio. Il y avait décroché une quatrième place. La pire, mais lui a su l’apprécier. A Tokyo, ses enfants lui manqueront même s’il embrasse toujours, avant de tirer, une médaille qu’il porte autour du cou et sur laquelle sont gravés leurs prénoms. Il en a quatre. Le plus âgé a trente ans et la plus jeune, sept ans. Aucun d’eux ne lui enverra, le matin de la compétition, de sms « bonne chance », car ils savent qu’il déteste ça.

©F.Pervillé

« Avoir un papa qui dispute les Jeux, c’est devenu une telle habitude que je ne me rends plus compte de la valeur de la performance ! », confirme Océane, 23 ans.

Elle écrivait fièrement, à l’école, « sportif de haut niveau » dans la case « métier du père ». Et même si, plus jeune, elle était plutôt branchée gymnastique, Didier l’a beaucoup soutenue et suivie.

« Sa grande phrase, c’était qu’on ne retient que la première place », se souvient-elle.

Pour Eric Antonicelli, président Didier est d’abord attaché à sa famille, mais il est aussi très apprécié dans l’équipe de para-tireurs.

« Quel rythme ! Il gère sa vie de papa, de sportif de haut niveau, avec sa déficience. Je lui tire mon chapeau ! En plus, il est très bon camarade ! »

Didier Richard organise souvent ses entrainements en fonction des sorties d’écoles de sa petite dernière. Sa compagne travaille, alors il gère.

« C’est la moindre des choses. Elle m’aide tellement au quotidien, même dans le cadre de mon sport !  C’est une femme exceptionnelle ! »

Didier Richard est décidemment un homme comblé puisqu’il a également trois-petits enfants. Il sera donc l’un des rares « grands-pères » athlète aux Jeux.

Mais il conseille déjà à ses jeunes adversaires de se méfier du « papi » !

Écrit par Fabrice David


Palmarès

Carabine 50m 3 positions

2018

Médaille de bronze – Coupe du monde – (France)

2016

4e – Jeux Paralympique – (Rio)

2010

Médaille d’or – coupe du Monde – (France)

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (France)

Médaille de bronze – championnat du Monde par équipe – (Croatie)

Carabine 10m couché

2017

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (Emirats Arabes Unis)

Médaille de bronze – coupe du Monde par équipe – (Croatie)

2016

Médaille d’argent – coupe du Monde par équipe – (Emirats Arabes Unis)

Médaille de bronze – coupe du Monde – (Thaïlande)

2015

Médaille de bronze – coupe du Monde – (Angleterre)

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (Angleterre)

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (Croatie)

2010

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (France)

Carabine 50 mètres 60 balles couché

2018

Médaille d’argent – Coupe du monde par équipe – (France)

2017

Médaille d’argent – coupe du Monde par équipe – (Emirats Arabes Unis)

2016

Médaille de bronze – coupe du Monde (Thaïlande)

Médaille d’argent – International Shooting Hanovre – (Allemagne)

2010

Médaille de bronze – Championnat du Monde par équipe – (Croatie)

Médaille d’or – Coupe du Monde – (France)

Médaille d’or – coupe du Monde par équipe – (France)

Carabine 10m debout

2019

Médaille d’argent – International Shooting Hanovre – (Allemagne)

2018

Médaille d’or – Championnat d’Europe – (Serbie)

2017

Médaille d’or Grand Prix de Pologne

2016

Médaille de bronze – International Shooting Hanovre – (Allemagne)

2015

Médaille d’or – coupe du Monde – (Angleterre)

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