Le 1er juin dernier, elle remporte la médaille d’or aux championnats d’Europe ! Mathilde Lamolle, meilleure tireuse au pistolet 25 mètres du continent part désormais à la conquête de la planète. Avec un moral d’acier et une parfaite gestion des émotions qu’engendre sa discipline. Et pour cause, la préparation mentale est l’objet de son brillant cursus d’études supérieures. En plus, elle a un compte à régler avec les Jeux….
Elle dit qu’elle a oublié. Tiré un trait. D’ailleurs, elle ne se souvient plus de la date précise. Mais cette journée noire, terrible, fait partie de son histoire. Peut-être même que si Mathilde Lamolle devient, un jour, la meilleure tireuse du monde au pistolet 25 mètres, ce cauchemar aura joué un rôle dans la construction de la championne.
9 août 2016. Lors de la dernière série de tir, aux Jeux Olympiques de Rio, son pistolet s’enraye. Tous les efforts, les mois d’entraînement, les espoirs sont réduits à néant. Elle ne finit pas son match et obtient trois zéros. Termine dans les dernières places. Frustrant. Elle est effondrée, en larmes. Elle n’a que 20 ans. Et rien à se reprocher.
« Je ne l’ai pas considéré comme un échec. J’avais bien tiré, j’étais tout proche de passer en finale. J’ai donc retenu de ces Jeux de Rio que j’étais prête. Sauf concernant la dimension de l’événement. Quand un journaliste m’interrogeait, j’avais envie de me cacher. Aujourd’hui, je prévois tout. Notamment un deuxième pistolet que je maîtrise également, pour passer de l’un à l’autre au cas où… »
©FFTir/J.Heise
Allauch, sur les hauteurs de Marseille. Mathilde s’entraine sur le Stand de Tir Provence Nemrod, niché dans les collines. A quelques kilomètres à vol de goéland d’Aubagne, sa ville natale, où habitent encore ses parents… Pratique ! Mais tout n’est pas si simple car la jeune championne a une deuxième vie. A Créteil, à l’est de Paris. Une vie d’étudiante et de jeune femme en couple avec son amoureux. Elle termine un Master en entraînement et optimisation de la performance sportive, dans le cadre de ses études de STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), option préparation mentale ! Vaste programme mais en parfaite adéquation avec sa vie d’athlète de haut niveau.
« Je tiens absolument à terminer mes études. Rencontrer d’autres mondes, préparer ma vie d’après. Evidemment, les allers-retours incessants Paris-Marseille sont contraignants et potentiellement fatigants. Donc je m’entraîne aussi à l’INSEP, Institut du sport de haut niveau dans le bois de Vincennes, à l’est de Paris également. »
Les examens sont prévus en juin. Mathilde a choisi sa priorité. Si les études et la préparation de ces examens exigent une charge de travail trop importante, elle laissera tomber, redoublera, pour ne se consacrer qu’au tir et aux JO. Une année chargée pour celle qui est également soldat et membre de l’Armée de champions depuis juin 2020.
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« J’aimerais la voir plus souvent qu’une semaine sur deux. Mais les études font partie de son équilibre. Je ne vois pas Mathilde être à 100% tir. Elle a besoin de couper », confirme Laurent Sasso, entraineur fédéral des femmes au pistolet 25 m.
Mathilde et les « parasites »
Le tir au pistolet 25 m, chez les femmes, se découpe en deux parties. Précision et vitesse. Pour la première, Mathilde a le temps. Cinq minutes pour tirer cinq balles. Mais ce temps, c’est l’adversaire le plus difficile à gérer. Car c’est lui qui va engendrer les pensées parasites. Mathilde utilise souvent cette expression.
« Nous sommes des humains. On ne peut éviter ces pensées, sur quelque sujet que ce soit, venir nous envahir. Et forcément, dans un sport de précision, c’est déstabilisant. Car une erreur de quelques millimètres sur l’arme c’est une grosse erreur sur la cible. Je dois donc rester très concentrée. »
©FFTir/JC.Verchère
Et cette concentration s’apprend en multipliant les entrainements.
« Avant de tirer, je visualise le coup parfait que je répète, répète jusqu’à ce qu’il devienne le plus possible un automatisme… »
Mais les parasites qui ne préviennent pas. Elle doit les dompter.
« J’apprends à ne pas prêter attention à ces pensées. Il est inconcevable de tirer avec elles. Donc je dois les faire partir. J’y arrive en une à deux secondes. Maximum cinq », poursuit Mathilde.
Alors, pour l’entrainer à rester concentrée, son entraîneur Laurent Sasso lui impose un exercice récurrent. Il la perturbe. Musique à fond, bavardage sans queue ni tête, bruits divers.
« Un jour, j’ai simulé un autre tireur, juste à côté d’elle, très agité. Une autre fois, j’ai mis de la musique douce enchainée à du gros rap. Puis, sans prévenir, un son de supporters de foot dans un stade… »
Mathilde doit rester de marbre. Cette précision, ce côté méticuleux fait d’ailleurs partie de son jardin secret.
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« Elle est très « bricolage »… Elle fabrique notamment des bijoux à partir de perles. Par exemple, des boucles d’oreille. Là aussi, c’est très minutieux », relève Emilien, compagnon de Mathilde, lui-même excellent tireur qui s’entraîne également à l’INSEP.
Avec un petit ami tireur lui aussi, difficile de parler d’autre chose que technique et préparation mentale. Il le faut, pourtant.
« Elle a besoin de s’aérer, de déconnecter. Mais comme elle n’est pas du genre à rester dans un canapé, elle s’occupe tout le temps et souvent, aime emmener les autres avec elle dans ce qu’elle fait. Ma sœur vient d’avoir un enfant. Donc Mathilde est « tata », cela lui change les idées », poursuit Emilien.
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Sur le stand de tir d’Allauch, après la précision, c’est le moment de la session vitesse. Mathilde Lamolle descend du pas de tir, marche sur la pelouse pelée par le soleil de Provence et se dirige vers le fond du stand. Elle change elle-même la cible. Pour une « à moustaches », avec deux traits blancs pour caler les organes de visée. En « vitesse », il faut tirer cinq balles dans un rythme bien précis : sept secondes d’attente, trois secondes pour lever le bras et déclencher, puis sept secondes d’attente etc… En tout, six séries sur ce rythme.
« Mon pire ennemi, c’est l’euphorie… Sous prétexte que le début de ma série se déroule très bien, que j’enchaîne les 10, je vais vouloir continuer sur cette lancée, en faire trop pour ne pas tout gâcher. C’est là que je risque l’erreur… Au contraire, je dois me dire qu’enchaîner les 10 est une situation normale puisque je m’entraine pour cela… »
©FFTir/JC.Verchère
En vitesse, Laurent Sasso et Mathilde doivent maintenir le niveau existant. En revanche…
« Si elle est très forte en vitesse, elle doit s’améliorer sur la partie précision. Sur la tenue de l’arme, pendant et à la fin du tir. Mais que de progrès, en dix ans et ce premier stage. En revanche, elle est la même sur un point précis. Son envie de gagner, de toujours progresser… », insiste Laurent Sasso.
« C’est … wahou ! »
C’est à huit ans que Mathilde tire ses premiers plombs. Parce que son papa Frédéric tirait à haut niveau et que son frère Aurélien rapportait des médailles à la maison. Alors forcément, elle veut faire pareil. Et elle aime ! Sa maman aussi.
« Je ne suis pas spécialement attirée par cette discipline. Mais quand j’ai vu Mathilde, à ses premiers entrainements, sortir l’arme avec application, se concentrer, rester statique, le bras tendu pendant presque une heure, cela m’avait impressionnée », raconte Marie-Laure Lamolle.
Laurent Sasso organise un stage enfants inter régions pour le Grand Sud quand il rencontre la petite Mathilde pour la première fois. Elle a 12 ans. Mais il la connaît de réputation, forgée depuis plusieurs années déjà, en école de tir.
« Elle avait des aptitudes techniques et un gros mental. Parmi tous les jeunes garçons et jeunes filles que j’ai eu en stage à cette époque, elle était la seule à envisager de faire du tir à haut niveau. »
Rare, à cet âge, cette sensation d’avoir trouvé sa voie.
« J’étais excessivement timide. Donc le sport individuel, seule face à sa cible, c’était parfait ! Et rapidement, j’ai obtenu de bons résultats », se souvient Mathilde.
Mais la fillette ne se distingue pas que par ses tirs.
« Elle refusait systématiquement de placer la main gauche, celle qui ne sert à rien, dans sa poche ou dans une ceinture. Et elle s’est appliquée à faire des résultats sans bloquer ce bras qu’il faut pourtant immobiliser pour pas qu’il se « balade » et déséquilibre le reste du corps. Elle a fini par concéder, quelques années après, que la ceinture était utile… Quel sacré caractère ! » sourit Laurent Sasso.
Ce qui confirme les impressions de Marie-Laure.
« Enfant, Mathilde n’avait pas confiance en elle. Pire, elle se dévalorisait beaucoup. Le tir l’a beaucoup aidé à prendre cette confiance. Ce sport lui a fait énormément de bien. Il est fait pour elle car elle est très cool, très posée, très patiente. »
La progression est régulière. Mathilde Lamolle collectionne les titres nationaux et les récompenses internationale. Sa réaction après son titre de championne du monde junior à 17 ans ?
« C’est … wahou ! »
Derrière ce cri du cœur, une joie contenue mais qui voulait dire autre chose…
©FFTir/J.Heise
« Ce n’est que le commencement », pouvait-on lire dans ses yeux…
Jusqu’à ce satané accident de pistolet à Rio…
« Je répète souvent à Mathilde qu’elle pratique un sport mécanique. Derrière ces mots on pense automatiquement à la Formule 1. Mais le tir aussi ! », insiste Laurent Sasso.
Dans les collines du nord de Marseille, sur son pas de tir d’Allauch, Mathilde aime prendre quelques secondes, assise sur une chaise en bois, pour des exercices d’imagerie mentale. Elle a encore un visage d’adolescente. Une jeune femme qu’il faut de temps en temps secouer, selon son entraineur.
« Elle aime bien son confort et ne pas trop en sortir. Mais si on arrive à l’en extraire, elle est à fond ! »
Mais Mathilde ne fait pas d’opposition par principe.
« Il faut que je sente que ce que fais me sert à quelque chose. Je ne suis pas du genre à flâner juste pour prendre l’air… »
Dans les semaines qui viennent, Mathilde Lamolle n’a pas le temps de flâner. En quête d’un master universitaire et surtout, de cette finale olympique qu’elle aurait dû atteindre à Rio. Et aujourd’hui, elle mérite bien plus encore.
Écrit par Fabrice DAVID
Palmarès
2021
Médaille d’or – championnat d’Europe – Pistolet 25m (Croatie)
2019
Médaille de bronze – championnat d’Europe – Pistolet 25m (Italie)
Médaille d’argent – championnat d’Europe – Pistolet 25m par équipes (Italie)
2018
Médaille de bronze – coupe du monde – Pistolet 25m (Mexique)
2017
Médaille de bronze – championnat d’Europe – Pistolet 25m par équipe (Azerbaïdjan)
2016
Médaille d’or – championnat d’Europe – Pistolet 10m junior (Hongrie)
Médaille d’argent – championnat d’Europe – Pistolet 10m junior par équipe (Hongrie)
2015
Médaille de bronze – coupe du monde juniors – Pistolet 25m (Allemagne)
Médaille de bronze – championnat d’Europe juniors – Pistolet 25m (Slovénie)
2014
Médaille d’or – championnat du monde juniors – Pistolet 25m (Espagne)
Médaille d’argent – championnat du monde juniors par équipe – Pistolet 25m (Espagne)
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