Tout est allé si vite. Mais pas trop vite. Cédric Fèvre-Chevalier a parfaitement digéré son titre de champion paralympique aux Jeux de Londres en 2012 en tir à la carabine 10 mètres couché. Une médaille d’or à la surprise générale. Neuf ans après la consécration suprême, le natif de Fontaine-lès-Dijon a obtenu le quota pour les prochains Jeux de Tokyo. Doté d’un mental hors normes, il puise au fond de lui la force de surmonter la malformation qui ne lui a laissé aucune chance en l’attaquant dès la naissance.
Dans le vaste stand de tir de Fleury-les-Aubrais où il a déjà réussi de belles performances, Cédric Fèvre-Chevalier prend le temps, d’une voix douce, de choisir ses mots. Une diction posée qui cache une énorme détermination.
Assis en tailleur sur le sol, il sort, une à une, ses affaires d’un sac de sport presque trop grand pour lui. Il les dispose méticuleusement sur une simple chaise en plastique. Les mots sont rares. Quelques minutes avant l’entrainement, il est déjà entré dans sa bulle de concentration.
« J’ai besoin d’avoir mon espace… »
©FFTIR/F.Pervillé
Un espace d’autant plus nécessaire qu’il est réduit par la présence envahissante de deux fauteuils roulants. Celui de tous les jours. Et celui aménagé pour le tir. Le cérémonial, avant la séance d’entrainement, est toujours identique. D’abord l’habillement. Veste de tir, sous veste, gant, casquette si besoin. Puis la petite caisse, qui contient les organes de visées qu’il devra monter sur la carabine. Au tour, ensuite, de la trousse contenant tous les accessoires indispensables, plombs, chronomètre. Les gestes sont précis. Autour de lui, Cédric n’entend pas, il ne regarde pas. Il est déjà en mode compétition. Puis, toujours assis par terre, il ôte son tee-shirt pour enfiler sa tenue. En bas de son dos nu, la terrible cicatrice. Cédric Fèvre-Chevalier est né avec une spina-bifida, malformation congénitale qui se caractérise par un mauvais développement de la colonne vertébrale.
En latin, spina-bifida signifie « épine fendue en deux ». Une traduction d’un réalisme froid. La malformation entraîne une paralysie et perte de sensibilité au niveau des jambes qui l’empêchent de marcher normalement, ainsi que d’autres séquelles invisibles.
©FFTIR/Y.Chetrit
Quand tout est prêt, installé comme il l’aime, Cédric Fèvre-Chevalier se hisse sur son fauteuil, visse la tablette. Derrière les petites lunettes, ce petit gabarit ne montre aucune lassitude de tous ces efforts quotidiens pour transporter des dizaines de kilos de matériel à l’entrainement ou en compétition. Puis ses yeux marrons s’illuminent enfin. Il se saisit de sa carabine de 5kg 500. Place au tir, place au sport, place à la performance. Son monde.
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« Le sport, c’est toute ma vie. Et quand je n’en fais pas, je le regarde à la télé. Pour peu qu’il y ait l’équipe de France, quelle que soit la discipline, je suis à fond ! »
Le sport, très tôt, comme pour défier le mauvais sort qui l’a rendu handicapé. Grâce à ses héros, ses parents.
« Ils se sont mis au sport quand j’étais enfant. Pas pour eux. Mais pour moi. Pour m’intégrer à leurs activités, me pousser à me dépasser et ne pas me laisser abattre par le handicap. »
Cédric essaie la natation. Ce n’est pas un grand succès. D’autant que nager est très compliqué à cause de sa malformation. Mais au club handisport de Dijon, il n’y a pas qu’une piscine. Il a onze ans à peine lorsque les éducateurs lui proposent du tir à la carabine. Le petit garçon n’aime pas trop les armes, mais pourquoi pas.
« Coup de foudre »
Le plaisir est total, immédiat.
« Un coup de foudre », confirme Cédric.
Ses parents découvrent alors un enfant volontaire, ambitieux, accrocheur. Il a tout simplement trouvé sa voie. A peine deux ans plus tard, il est champion de France cadet !
Mais la progression n’est pas linéaire. Cédric apprend de ses échecs. Celui, d’une vingtième place lors de ses premiers championnats du monde en 2006. Mais surtout, sa non sélection pour les Jeux Paralympiques de Pékin en 2008. Beaucoup auraient baissé les bras. D’ailleurs, certains le lui conseillent. Est-il fait pour le haut niveau ? Cédric va tout arrêter pendant de longs mois et se remettre en question. Une étape qui va tracer sa route personnelle. Puis la passion, l’envie, reprennent le dessus. Des heures d’entrainement, des sacrifices, du sport à la maison, le soutien permanent de ses parents.
©FFTIR/F.Pervillé
« Aujourd’hui encore, je suis époustouflée par sa volonté », admet Marie-Hélène.
Et cela paye. Les résultats sont de mieux en mieux, de plus en plus réguliers. Jusqu’au sommet. Et cette sensation unique, que peu de sportifs, même de très haut niveau, connaissent : l’hymne national, en son honneur, aux JO ! Cédric Fèvre-Chevalier est sacré champion paralympique dès sa première olympiade, à Londres en 2012 en tir à la carabine couché à 10 mètres. En atteignant un niveau qui surprend même ses entraineurs puisqu’il décroche aussi le record du monde !
©London2012
« Cette médaille d’or, c’est un hold-up ! » a titré un journal, à l’époque.
« Ce ne sont pas mes mots. Mais ce n’est pas totalement faux… », sourit-il.
Ce ne sont pas ses mots car il n’a rien volé. Cédric préfère parler d’énorme surprise. Ce samedi 1er septembre 2012, la maison de la presse que tiennent ses parents à Nolay, village de Côte d’Or, n’est plus une maison de la presse comme une autre. Parce que le petit Cédric est champion paralympique. Parce que Noël et Marie-Hélène le sont aussi un peu. Parents exceptionnels de courage et d’amour pour leur fils dont le pronostic vital était engagé, à sa naissance. Pendant plusieurs jours, le petit commerce ne désemplit pas. Une photo de Cédric sur le podium y est placardée.
©London2012
Malgré le départ à la retraite de Noël et Marie-Hélène et le changement de propriétaire, le portrait y est toujours aujourd’hui !
Depuis Londres, Cédric est toujours en quête, bien qu’ayant grimpé au sommet.
« Je n’ai pas encore été champion d’Europe ni du monde. La boucle n’est pas bouclée. »
Malheureusement, l’incertitude est totale concernant d’éventuelles compétitions internationales d’ici les Jeux pour boucler cette boucle et étoffer son palmarès. Mais derrière la voix presque hésitante de cet homme timide, il y a comme une certitude. Celle qu’il fera tout pour y arriver.
« Je n’ai jamais brûlé une étape. J’ai toujours laissé faire le temps. »
Feu presque vert pour Tokyo
Aujourd’hui, il s’entraine une vingtaine d’heures par semaine, la plupart du temps au stand de tir de Chalon-sur-Saône, près de chez lui. Préparation physique. Et mentale.
« Même si nous nous voyons peu, compte tenu de la situation sanitaire, je sais qu’il fait, chez lui, les exercices que je lui demande », assure Gwenolla Vandertaelen, somato-psychopédagogue et préparatrice mentale de Cédric. « Il est très impliqué. Ce n’est pas le cas de tous les sportifs de haut niveau. Il ne rechigne jamais à travailler, que ce soit en visualisation, en respiration, en méditation. »
Titulaire d’un BTS comptabilité, Cédric Fèvre-Chevalier n’exerce pas d’activité professionnelle. Il est soutenu par le « Pacte de Performance », dispositif mis en place par l’Etat et des entreprises. Cédric est principalement aidé par la Caisse d’Epargne Bourgogne – Franche-Comté en plus de la Fédération Française de Tir. Quand il ne s’entraine pas, il effectue, le plus souvent aux beaux jours, au moins une sortie hebdomadaire en vélo et avale près de soixante kilomètres. C’est Noël qui l’installe sur le VTT car Cédric ne peut pas placer seul ses jambes en arrière. A chaque rond-point, le papa attentif vérifie qu’aucune voiture ne se présente. Si c’est le cas et que Cédric doit freiner voire s’arrêter, Noël vient le soutenir, laisse passer le véhicule et les deux hommes repartent. Le vélo est une passion. En faisant un sacré pied de nez au handicap, il a grimpé, fin août dernier, le col de la Colombière, l’une des montées mythiques du Tour de France, toujours en compagnie de son père.
©Cédric Fèvre Instagram
Dans les mois qui viennent, il va un peu freiner, niveau vélo. Cette année, presque dix ans après Londres, les Jeux Paralympiques de Tokyo sont au programme. Presque dix ans après… cette fameuse « grosse surprise ».
« Nous avons mis des mots sur la médaille d’or de Londres. Pour lui faire comprendre qu’elle n’était pas due au hasard », explique Gwenolla Vandertaelen.
A 37 ans, Cédric a obtenu un quota pour disputer les Jeux. Mais c’est le Comité Paralympique de Sélection qui accorde la sélection définitive. Fin juin… Seulement quelques semaines avant ! La confirmation de sa qualification au dernier moment, la période incertaine, la préparation tronquée ? Il s’adapte.
« J’attends sereinement l’officialisation. Et si je suis sélectionné, je défendrais mes chances. Car depuis la reprise de la saison en septembre, j’ai franchi un nouveau cap dans mes performances à 10 mètres. »
Dans sa discipline, il faut réaliser soixante tirs en cinquante minutes. Entre chaque tir, il doit recharger l’arme, viser à nouveau, se concentrer à nouveau. Et répéter la même séquence de tir pour toucher le centre de la minuscule cible. Chacun des tirs est un match à lui seul. En compétition, il doit réaliser une moyenne de 10,6 à chaque coup de matchs pour faire jeu égal avec les meilleurs. Les Slovaques, les Anglais, les Asiatiques.
©FFTIR/Y.Chetrit
« Cédric est très fort mentalement. Il a une grande stabilité émotionnelle » confirme Gwenolla Vandertaelen.
En plus de son talent, de son travail, de sa technique, Cédric à un atout. Rare. Son pouls bat plus lentement que la moyenne : entre 50 à 55 pulsations/minute au repos. Et un autre aussi.
« Je suis introverti. Je pense que c’est un avantage, dans cette discipline. Elle me correspond parfaitement. »
Le champion de Londres est immobile. Il a affiché ses ambitions avec des mots rares mais précis. Il retourne dans sa bulle. Arme. Tire. Cette bulle que même ses parents ont du mal à percer.
« Souvent, on lui pose une question et il ne répond pas. Il n’a pas entendu. Il a une étonnante faculté à être dans son monde », s’étonne Noël.
Cédric est pressé de s’isoler derrière sa carabine. Là où il se sent si bien. Là où, au bout, il voit un rond. Qu’il a une façon bien a lui de visualiser.
« Pour moi, ce rond, ce n’est pas une cible, c’est une médaille. »
Et il sait de quoi il parle, puisqu’il a déjà obtenu la plus belle lors du plus prestigieux des tournois. Cédric Fèvre-Chevalier sourit timidement, comme souvent. Un sourire qui témoigne d’une force tranquille. Celle d’un athlète qui sait ce que signifie se battre, surmonter la douleur et les épreuves injustes d’une vie. Un athlète qui a déjà été le meilleur de la planète. Et qui est prêt à tout le redevenir.
Écrit par Fabrice DAVID
Palmarès
2012
Tir en carabine à 10 m couché :
Champion Paralympique JO Londres
Record du Monde, Record Paralympique et Record d’Europe
2017
Tir en carabine 10 m couché :
Médaille d’Argent Coupe du Monde (Croatie)
Médaille de Bronze en Coupe du Monde (Emirats Arabes Unis)
Tir en carabine 50 m :
Médaille de bronze Coupe du Monde (Croatie)
2018
Tir en carabine 10 m couché :
Médaille d’or par équipe Coupe du Monde (France)
2019
Tir en carabine 10 m couché :
Médaille de bronze par équipe Coupe du Monde (Emirats Arabes Unis)
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